Anne-Claire Fontan: «Il y aura moins de cyclones, mais ils seront plus violents»

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Anne-Claire Fontan: «Il y aura moins de cyclones, mais ils seront plus violents»

19/11/2020 - 12:00

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19/11/2020 - 12:00

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L’ouragan «Iota», de catégorie 5 quand il a touché terre au Nicaragua, a provoqué d’importants dégâts et tué au moins six personnes. Scientifique pour le Programme concernant les cyclones tropicaux à l’Organisation météorologique mondiale, Anne-Claire Fontan fait le point sur l’activité cyclonique et son évolution

Des résidents regardent les restes d'une maison après le passage de l'ouragan Iota, le 17 novembre 2020 au Niacaragua.  — © REUTERS/Oswaldo Rivas


 

L’ouragan Iota était de catégorie 5 quand il a touché terre au Nicaragua mardi. Il a fait au moins six morts, dont deux enfants, et causé d’énormes dégâts. Des milliers de personnes sont isolées, sans eau potable, ni électricité. Scientifique pour le Programme concernant les cyclones tropicaux à l’Organisation météorologique mondiale à Genève, Anne-Claire Fontan étudie ces phénomènes de près.

Le Temps: L’ouragan «Iota» vient de frapper durement l’Amérique centrale, en particulier le Nicaragua, deux semaines après le passage d’un autre ouragan, «Eta». La saison des ouragans s’achève pourtant plutôt vers la fin novembre. Faut-il s’en inquiéter?

Anne-Claire Fontan: Iota est le seul ouragan en 2020 à atteindre la catégorie 5, le dernier stade d’intensité sur l’échelle de Saffir-Simpson. C’est un ouragan très puissant qui combine des vents ultra-violents soufflant jusqu’à 250 km/h, des pluies torrentielles et une montée des eaux le long des côtes. Une intensité de catégorie 5 due à une vitesse des vents très élevée engendre des situations où tout débris devient un projectile très dangereux.

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La situation au Nicaragua est qualifiée de catastrophique pour plusieurs raisons. A ma connaissance, il n’est jamais arrivé que deux systèmes de catégorie 4 et plus affectent le même endroit à deux semaines près. Il y a quinze jours, l’ouragan Eta a touché terre et s’est déplacé lentement, accentuant la quantité de pluie et provoquant d’importantes inondations et des glissements de terrain. Depuis, l’eau n’a pas pu être évacuée, les sols sont détrempés et les quantités de pluie supplémentaires apportées par Iota rendent la situation encore plus catastrophique.

Il y a eu 30 tempêtes tropicales baptisées dans l’Atlantique en 2020, le plus grand nombre jamais enregistré

Qu’est-ce qui a favorisé la création de «Iota»?

L’ouragan a connu une intensification ultra-rapide en quelques heures bénéficiant d’un environnement très favorable, dont beaucoup d’humidité dans l’atmosphère et des eaux de surface océaniques très chaudes, proches de 29°C. Dans le contexte actuel, une température de 26,5°C sur une épaisseur d’eau de 50 à 60 mètres est une des conditions favorables à l’apparition d’un cyclone tropical. Les océans sont le fuel des cyclones tropicaux.

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Le changement climatique y est-il pour quelque chose?

Une atmosphère plus chaude est capable de retenir davantage d’humidité. On s’attend donc à ce que les cyclones tropicaux soient associés à davantage de pluies. D’autre part, l’effet combiné de l’expansion thermique des océans et de la fonte des glaces aura comme conséquence une montée du niveau de la mer.

Les régions côtières, rendues plus vulnérables par le développement et l’accroissement de la population, souffriront davantage des effets dévastateurs des inondations provoquées par les ondes de tempête.

Va-t-on voir davantage de cyclones à l’avenir?

On s’attend à ce que les températures de surface de la mer augmentent de plusieurs degrés dans les prochaines décennies. Si la température de surface était seule responsable des conditions de formation cyclonique, on pourrait s’attendre à une augmentation du nombre de cyclones tropicaux. Or ce ne sont pas les conclusions des études menées par le GIEC: le nombre annuel global de cyclones tropicaux devrait rester stable, voire être en légère baisse.

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Avec le réchauffement, ce n’est pas seulement la surface, mais aussi l’atmosphère qui se réchauffent, laissant à peu près identique le profil vertical des températures, qui est le véritable catalyseur des phénomènes cycloniques.

En octobre et novembre de la saison cyclonique 2020, l’Atlantique a engendré quatre ouragans majeurs (à partir du niveau 3). Historiquement, aucune saison cyclonique n’a donné lieu à plus de deux ouragans majeurs dans l’Atlantique après le 1er octobre. C’est rare?

Il y a eu 30 tempêtes tropicales baptisées dans l’Atlantique en 2020. C’est le plus grand nombre de tempêtes tropicales jamais enregistré dans l’Atlantique. Treize d’entre elles ont atteint le stade d’ouragan, dont cinq le stade d’ouragan majeur. Cette année a vu se développer beaucoup de tempêtes tropicales, des systèmes moins intenses avec des durées de vie assez courtes. On recense un record de tempêtes tropicales baptisées, mais pas un record d’activité cyclonique pour la saison.

Les ouragans touchent-ils désormais des régions jusqu’ici épargnées?

Des études portent sur une modification des trajectoires des cyclones, au-delà des zones subtropicales dans des zones où l’on n’a pas l’habitude de les voir, et donc d’autant plus vulnérables. Est aussi à l’étude un ralentissement de la vitesse de déplacement des cyclones qui résulterait en des pluies très abondantes au même endroit.

Où se forment généralement les ouragans qui sévissent dans l’Atlantique?

La zone de développement principale de tels ouragans se situe dans les tropiques, entre le Cap Vert et les Caraïbes. Soixante pour cent des tempêtes tropicales et ouragans mineurs et 85% des ouragans majeurs ont pour origine des ondes tropicales d’est commençant à se développer vers le Cap Vert.

Quelles différences entre un ouragan, un cyclone et un typhon?

Le mot générique pour ce genre de phénomène est cyclone tropical. Mais dans l’Atlantique Nord, le centre et l’est du Pacifique Nord, la mer des Antilles et le golfe du Mexique, on parle d’ouragan. Dans l’ouest du Pacifique Nord, on parle de typhon. On parle de cyclone tropical notamment dans l’océan Indien et dans le Pacifique Sud.

Le 13 novembre dernier a coïncidé avec le 50e anniversaire de «Bhola», le cyclone tropical le plus mortel de l’histoire, qui a tué entre 300 000 et 500 000 personnes dans ce qui s’appelle aujourd’hui le Bangladesh. Avec l’intensification des ouragans, doit-on craindre un épisode aussi dramatique?

Non, Bhola et ses conséquences dramatiques appartiennent définitivement au passé. Depuis, beaucoup de choses ont changé. Il est désormais impossible de rater une cyclogenèse. Avec des satellites géostationnaires bien répartis autour du globe, les cyclones sont surveillés en permanence. L’OMM a établi son programme des cyclones tropicaux, qui célèbre cette année ses 40 ans d’existence. Ce programme a facilité la mise en place d’un mécanisme de coopération régionale, dans chaque région où sévissent les cyclones.

Le Centre des ouragans de Miami, par exemple, est responsable de la zone Atlantique, et l’ensemble des pays concernés par ces phénomènes font partis du Comité des ouragans. Le Pacifique et l’océan Indien ont aussi respectivement leurs centres et leurs comités. L’idée est de partager les données, produits et alertes.

On a également fait d’énormes progrès en termes de prévision des cyclones, de diffusion des avertissements aux populations et dans la préparation aux saisons cycloniques et dans la formation. On essaie d’anticiper l’impact que de tels phénomènes peuvent avoir sur le terrain en croisant des données sur la vulnérabilité des populations, et des infrastructures.

Deux ouragans différents peuvent-ils s’influencer?

Oui, il y a l’effet Fujiwara, une sorte de danse entre deux systèmes tropicaux dont les trajectoires s’influencent mutuellement. Il arrive aussi qu’un cyclone plus puissant altère l’environnement d’un autre système, l’empêchant de se développer.

 

 

 

https://www.letemps.ch/sciences/anneclaire-fontan-y-aura-cyclones-seront-plus-violents